Delf - La Malédiction

Chapitre 1.

Premier jour.

Jim reconnut le bruit qui s'approchait: un moteur de voiture, une Chrysler qui semblait pressée. "Voilà Simon", finit-il par annoncer.

Blair sortit de la voiture où il s'était réfugié pour trouver un peu de chaleur et rejoignit son ami.

"Il était temps! Pourquoi est-ce toujours si long de préparer un mandat d'arrêt? Ca fait deux semaines qu'on court après ce type, et quand enfin on le trouve, il faut encore demander l'autorisation de l'attraper, c'est frustrant…"

"Je sais, grand chef, je sais, mais c'est la procédure, tu devrais avoir l'habitude." lui répondit le détective d'une voix fatiguée. Il avait passé une heure à concentrer son odorat sur le parfum piquant de leur suspect pour le traquer, et sans l'aide de son guide il serait resté dans un zone-out plus d'une fois. L'utilisation intensive de ses sens hyper-développés lui donnait immanquablemment la migraine…

"Jim, ça va?"

La voix inquiète de son partenaire le fit sourire. "Ce n'est rien, mais tout ce dont je rêve à cette minute c'est d'une longue nuit de sommeil réparateur…"

"Et bien tu vas devoir remettre ça à plus tard, Simon est arrivé."

Sa voiture s'arrêta à côté d'eux et Simon en sortit en sortit en brandissant l'autorisation officielle tant attendue. "C'est bon, on a le droit de fouiller la propriété. Allons chercher ce Fulkerson."

Les trois hommes entrèrent dans le parc magnifique au fond duquel se dressait une imposante demeure ancienne. Jim savait que leur suspect se trouvait ici, de la même manière qu'il savait que Fulkerson était sur les lieux du meurtre du sénateur Hobbes: grâce à ses sens. Mais il leur avait fallu beaucoup de temps pour réunir suffisamment de preuves contre lui: sans l'insistance de Jim à faire analyser les moindres échantillons, Fulkerson n'aurait jamais été inquiété.

Jim conduisit ses amis directement devant la porte de Fulkerson. Celui-ci ne s'attendait pas du tout à avoir été suivi. Il était simplement assis sur son lit, en train de suivre les informations à la télévision. La journaliste revenait sur l'affaire du meurtre du sénateur, et disait que la police n'avait aucune piste quant à l'identité dé l'assassin. Et Fulkerson souriait: qui irait le soupçonner, lui, le riche fils à papa sans histoire, le freluquet qui cachait ses petits yeux derrière sa frange de cheveux noirs, le désoeuvré solitaire qui ne vivait qu'au milieu de ses livres anciens?

Aussi, quand sa porte s'ouvrit violemment, il n'eut que le temps de sursauter et resta sans réaction devant l'homme qui le visait de son révolver.

"Ford Fulkerson, vous êtes en état d'arrestation pour le meurtre de Calvin Hobbes. Vous avez le droit de garder le silence, tout ce que vous direz pourra être retenu contre vous…" récita Jim en s'approchant de lui.

Ford ne dit d'abord rien, mais ses yeux parlaient d'eux-même. D'un grand étonnement, ils passèrent à la colère. Toute cette colère semblait dirigée contre celui qui avait brisé son plan si parfait: "C'est vous… c'est vous qui m'avez trouvé… Co… comment avez-vous fait?!"

Cette question fit sourire Blair: "En voilà au moins un qui ne cherche même pas à nier, ça nous change!"

"Gardez vos commentaires pour vous, Sandburg, et dégagez le chemin, laissez donc la police faire son travail." grogna Simon en s'écartant pour laisser rentrer les policiers en uniforme qu'il avait emmenés en renfort et qui les avaient suivis de près. Ils saisirent Fulkerson par les épaules pour l'emmener. Mais le criminel résista un instant, le temps de regarder Ellison dans les yeux en souriant méchamment:

"Vous avez été très fort sur ce coup-là, cher inspecteur. Je pensais n'avoir commis aucune erreur. Mais vous ne vous en sortirez pas comme ça. Vous regretterez un jour d'avoir croisé mon chemin."

Comme il restait immobile et que Jim lui rendait son regard sans répondre, Simon intervint: "Allez, bougez-vous, sortez-moi cet individu d'ici et que ça saute, on ne va pas y passer le week-end!"

Les deux policiers semblèrent sortir de leur hébétude et entraînèrent un peu rudement l'homme menotté vers l'extérieur, suivi par leur capitaine qui maugréait contre les nouvelles recrues toujours trop longues à la détente et les arrestations du vendredi soir qui l'obligeaient à retarder son départ à la pêche.

Mais Blair avait l'air soucieux quand il s'approcha de Jim, toujours immobile à l'endroit où il avait laissé Fulkerson aux policiers.

"Jim? Qu'est-ce que tu attends, ça ne va pas? D'habitude, tu les envoie toujours sur les roses quand les prisonniers te menacent des pires vengeances comme dans un mauvais film de série B! Hé, Jim, tu m'entends?"

Ce n'est qu'au moment ou Blair posa la main sur son bras que la sentinelle sembla se réveiller. "Hélà, ne me dis pas que tu étais en train de zoner? Mais qu'est-ce qui t'est arrivé?"

Jim esquissa un faible sourire pour répondre. "Je n'en sais rien, à mon avis c'est juste la fatigue…"

"Je pense que tu as raison. Allez, on rentre, le rapport attendra lundi matin. Ce soir, c'est moi qui fait la cuisine, et ensuite on pourra passer tout le week end à dormir pour se reposer de cette longue enquête!"

"… et surtout pour se remettre de ta cuisine étrange."

"C'est ça, moque toi et tu seras privé de dessert!" répondit Blair en riant.

La nuit était tombée depuis longtemps sur Cascade quand tout le monde fut rentré chez soi. Tout le monde, sauf un petit homme aux yeux noirs qui souriait au fond de sa cellule en pensant à sa vengeance.

Première nuit.

Jim suivit le plan de Blair à la lettre et alla se coucher dès la fin du repas. Il se sentait épuisé après toutes ces planques et l'utilisation intensive de ses sens. Aussi il ne tarda pas à s'endormir.

Autour de lui s'élevaient des arbres et il entendait toutes sortes de cris d'animaux dans le lointain. La sentinelle ne mit pas longtemps à reconnaître son environnement: il se trouvait dans la jungle. Comme à chaque fois qu'il se retrouvait dans le monde spirituel, ses vêtements étaient ceux qu'il portait au Pérou. Il avança de quelques pas devant lui et s'arrêta quand il reconnut un animal: c'était la panthère noire, son guide spirituel. Jim l'observa attentivement: elle était allongée, le museau sur les pattes, les paupières fermées. Généralement, la panthère essayait toujours de communiquer avec lui. Jim attendit donc, patiemment. Mais la panthère ne bougeait toujours pas et il se sentit de plus en plus mal à l'aise. Elle était vivante, puisqu'il voyait son dos monter et s'abaisser au rythme de sa respiration. C'était donc à lui de faire quelque chose, mais il ne savait pas quoi. Alors il restait immobile, le cœur battant de plus en plus vite.

Un croassement strident le fit sursauter et il se réveilla. Il était de retour dans son lit, en sueur, son cœur martelant sa poitrine à un rythme effrené: comme s'il sortait d'un cauchemar. Pourtant, il ne savait pas ce qui l'avait mis dans un tel état. Et pourquoi avait-il entendu un corbeau? Il n'en avait jamais rencontré dans le monde spirituel.

Jim secoua la tête pour chasser ces pensées et se retourna dans son lit. Ce n'était pas le moment d'échafauder des hypothèses. Il avait avant tout besoin de repos. "Et puis, c'est le travail de Blair d'analyser les rêves mystiques, ça va sûrement beaucoup lui plaire."

Il ferma les yeux en souriant et s'endormit enfin profondément.

suite...